Janvier 2025 - Les Changements potentiels de la CSRD : Ce qu’il faut retenir

Will Hepworth
January 21, 2025

La directive sur la publication d'informations en matière de durabilité des entreprises (CSRD), pierre angulaire de la transition durable en Europe, est aujourd’hui au centre d’un débat politique intense. 

Conçue pour transformer le reporting des entreprises en matière de durabilité, elle est désormais remise en question par le projet de "réglementation omnibus"

Ce dernier vise à alléger certaines exigences, posant une question cruciale : doit-on privilégier la transparence pour encourager un réel changement ou céder à la tentation de simplifications qui pourraient en réduire l’impact positif de cette directive ?

Contexte : Qu’est-ce que la CSRD ?

La CSRD, qui a remplacé la directive sur la publication d'informations non financières (NFRD) en janvier 2023, a marqué un tournant dans le reporting de durabilité des entreprises en Europe.

Elle redéfinit les règles du jeu en introduisant des standards ambitieux de reporting extra-financier, fondés sur le principe de la double matérialité, qui évalue à la fois l’impact des activités de l’entreprise sur l’environnement et la société, ainsi que l’impact des enjeux de durabilité sur l’entreprise elle-même. Ces standards sont alignés sur les normes européennes de reporting de durabilité (ESRS), conçues pour assurer la cohérence et la comparabilité des données publiées.

Près de 50 000 entreprises sont désormais concernées par cette directive, qui impose un cadre de reporting harmonisé couvrant les aspects environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Cela représente non seulement un défi pour les entreprises, mais aussi une opportunité de mieux intégrer la durabilité dans leurs pratiques commerciales et de renforcer leur compétitivité à long terme.

Le Débat Politique : Simplification ou Recul Stratégique ?

Il n’est pas surprenant que les exigences strictes de la CSRD aient suscité des critiques. Stéphane Séjourné, homme politique français, et Robert Habeck, ministre allemand de l'Économie, ont plaidé pour une simplification du cadre, en soulignant les difficultés rencontrées par les PME pour mettre en œuvre ces exigences complexes. Leur argument, selon lequel la réglementation pourrait finir par étouffer les entreprises sous une montagne de paperasse, semble, à première vue, raisonnable. Toutefois, une question persiste : ces préoccupations sont-elles véritablement liées à la faisabilité, ou bien sont-elles l'expression d’efforts de lobbying puissants visant à préserver le statu quo ?

Des investigations récentes ont révélé des activités de lobbying significatives de la part d’associations professionnelles telles que BusinessEurope et la Fédération bancaire européenne (EBF). Ces groupes plaident pour des exigences moins contraignantes, évoquant le besoin de « réalisme économique » tout en minimisant l’urgence des objectifs climatiques et de durabilité. Ces pressions risquent de réduire les ambitions transformatrices de la directive, laissant planer des doutes sur la réelle intention des propositions de simplification : servent-elles l’intérêt général ou des intérêts commerciaux particuliers ?

Une des revendications consiste à relever les seuils des entreprises couvertes par la CSRD, par exemple en augmentant les critères relatifs au nombre d’employés, au chiffre d’affaires et à la taille du bilan. Si cela pourrait alléger la charge pour certaines petites entreprises, cela risque de créer une CSRD à deux vitesses, récompensant les retardataires tout en pénalisant celles qui ont déjà investi dans la mise en conformité. Cela soulève également d'autres questions sur la mise en œuvre des directives au sein de l'Union européenne.

Une autre proposition parmi les plus controversées, portée par Séjourné, consiste à "diviser par dix" le nombre de points de données requis par la CSRD. Les critiques estiment que de telles affirmations frisent la désinformation, car les exigences réelles en matière de données varient entre 400 et 700 indicateurs, en fonction de l’évaluation de la double matérialité, bien moins que ce qui est suggéré. À titre de comparaison, les normes financières de l’IFRS demandent un nombre d’indicateurs similaire, couvrant des aspects comme les actifs, les revenus ou les flux de trésorerie. Pourtant, ces exigences ont été largement acceptées sans grande opposition, ce qui souligne une différence de traitement envers le reporting extra-financier. 

De l'autre côté, des défenseurs de la directive, comme Pascal Canfin, président de la commission de l'environnement du Parlement européen, et Virginijus Sinkevičius, commissaire européen à l'environnement, ont exprimé de fortes préoccupations concernant les dangers d’une dilution de la CSRD. Canfin a explicitement dénoncé le manque de transparence sur l’influence du lobbying sur les décisions de la Commission européenne, insistant sur le fait que toute simplification ne doit pas se faire au détriment de la crédibilité du système.

Bien que des mesures d’harmonisation et de simplification, telles que l’intégration des plans de transition climatique ou la numérisation des processus de reporting, soient considérées comme constructives, elles ne doivent pas sacrifier l’ambition de transformation écologique ni entraver l'investissement dans des modèles commerciaux durables. L’objectif de la CSRD ne se limite pas à une simple conformité avec le reporting de durabilité ; il vise à en faire un levier pour favoriser la transformation des entreprises vers un modèle plus durable.

Quelles conséquences en cas d’affaiblissement de la CSRD ?

La volonté de simplification n'est pas un phénomène isolé, et ses répercussions se feront sentir dans tout l'écosystème de durabilité de l'UE. Si les exigences de reporting sont allégées, plusieurs risques se dessinent, avec des conséquences potentiellement graves :

Affaiblissement de la Taxonomie Européenne

Réduire les exigences de la CSRD affecterait directement la Taxonomie européenne, qui repose sur des données précises des entreprises pour identifier les activités durables. 

La taxonomie repose sur des informations précises concernant les activités économiques durables des entreprises pour guider les investissements. Si ces données deviennent moins complètes ou rigoureuses, il sera plus difficile pour les investisseurs de distinguer les projets véritablement durables. Cela affaiblirait l’objectif de l’UE de diriger les flux financiers vers des initiatives écologiques et durables, compromettant ainsi l’efficacité de la finance verte en Europe.

Réduction de l’efficacité de la Directive sur le Devoir de Vigilance : CSDDD

La Directive sur le devoir de vigilance repose sur un reporting fiable pour identifier les risques environnementaux et liés aux droits humains dans les chaînes de valeur. Si les entreprises sont autorisées à alléger ou repousser leurs obligations de reporting CSRD, l’efficacité de cette directive en serait sérieusement affaiblie. Cela mettrait non seulement en danger les communautés vulnérables, mais porterait aussi un coup à l’ambition de l’UE de maintenir son rôle de leader dans la promotion de pratiques commerciales éthiques.

Fragmentation des Cadres Réglementaires

L’UE a investi énormément d’efforts pour établir un cadre réglementaire harmonisé en matière de durabilité. 

Un affaiblissement de la CSRD risquerait de créer des incohérences avec d'autres réglementations, augmentant les coûts de conformité pour les entreprises et sapant la vision intégrée du Green Deal.

CSRD : quelles sont les perspectives d’évolution ?

Les lignes sont clairement divisées. D’un côté, ceux qui plaident pour une simplification au nom de la réalité économique. De l’autre, les partisans d’un reporting plus strict soulignent que la transparence est essentielle pour lutter efficacement contre la crise climatique. Voici ce qui semble se dessiner :

  • Échéances Prolongées : Les PME et les entreprises non cotées bénéficieront presque certainement de délais supplémentaires, avec des premières obligations de reporting probablement reportées à 2027. Les grandes entreprises, en revanche, devraient respecter l’échéance initiale de 2025.
  • Normes Différenciées : Des modèles de reporting simplifiés pour les PME verront probablement le jour, mais leur portée sera un point de débat. Les décideurs doivent veiller à ne pas compromettre l'intégrité des données.
  • Ajustements Progressifs : Des changements structurels majeurs de la CSRD sont peu probables. Nous pouvons plutôt nous attendre à des ajustements progressifs visant à réduire la complexité sans altérer fondamentalement les objectifs de la directive.

Pourquoi poursuivre la CSRD malgré les incertitudes ?

Les entreprises devraient continuer à travailler sur ce projet, même si des ajustements réglementaires sont attendus. 

Le travail déjà accompli en matière de durabilité et de reporting CSRD ne doit pas être remis en question. 

Au contraire, ces efforts placent les entreprises sur une trajectoire positive, en anticipant des exigences de plus en plus élevées en matière de transparence extra-financière. 

L'intégration de la durabilité n'est pas une tendance passagère : elle devient un impératif stratégique. 

Les entreprises qui poursuivent leur préparation répondent non seulement aux normes actuelles, aux labels, aux évaluations telles qu’EcoVadis mais se positionnent aussi comme des leaders dans la transition durable, gagnant ainsi en crédibilité et en avantage concurrentiel.

CSRD : Un appel à l’action

Les enjeux n’ont jamais été aussi élevés. Nous sommes à un moment critique où les décisions prises renforceront la position de l’UE en tant que leader mondial de la durabilité ou marqueront un recul face à une action climatique significative. 

La simplification pourrait soulager les pressions à court terme, mais elle risque de créer un vide dans la transparence ESG nécessaire pour conduire un changement systémique. 

Les décideurs, les entreprises et la société civile doivent travailler ensemble pour préserver l'intégrité de la CSRD et garantir que les cadres réglementaires européens restent alignés sur l’urgence des défis climatiques et de durabilité auxquels nous sommes confrontés. Affaire à suivre…

Sources consultées en janvier 2025: